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Anonyme |
# 2 ≡ Re: Chapeau bas aux jockeys! |
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Je suis tombée sur ce vieux papier dans Libé (2001), écrit par le magnifique Homéric, toujours aussi agréable et poignant à lire. Ce papier a beau dater de 2001, il est Ô combien plus que jamais d'actualité...
"Dimanche, à Auteuil, se disputera l'épreuve la plus populaire de l'hippodrome de la butte Mortemart: le Prix du président de la République. Nommé ainsi en l'honneur de Félix Faure, sa formule handicap en a fait la popularité (lire ci-dessous). Un parcours long de 4 700 mètres et semé de 18 obstacles aussi variés que piégeux. Le franchissement du terrible rail ditch and fence, dit le «Juge de paix», avec ses 4,10 m de long et 1,60 m de haut, ainsi que la rivière des tribunes en font un steeple-chase redoutable qui voit nombre d'illusions s'effondrer.
Sinécure. Si les chevaux sont les vraies vedettes, leurs partenaires, les jockeys, méritent eux aussi un peu plus de considération de la part des turfistes qui, bien souvent obnubilés par la poignée de tickets d'enjeux qui ne valent plus rien une fois le poteau d'arrivée passé, les traitent de tous les noms. Ces jockeys, le visage rougi par l'effort, le corps trempé de sueur, ne disent mot, déjà satisfaits de rentrer aux vestiaires sains et saufs. Car ce métier n'est pas une sinécure. Les statistiques de l'Association des jockeys de galop en France sont éloquentes: celui qui se destine à une carrière de jockey d'obstacles a toutes les chances de hanter les couloirs des hôpitaux.
Des tribunes, la violence de ce métier échappe souvent au non-averti de la chose hippique. Tout au plus voit-il une crinière qui fait un soleil dans le policé des encolures tendues, une casaque qui disparaît dans le guillochis des mem bres et des mottes de terre puis qui roule tel un buisson sec sous le vent. Il faut, pour se rendre compte de la brutalité de ce sport, se poster à la réception du rail ditch and fence. D'abord, vous n'entendez rien, juste quelques oiseaux qui vocalisent dans les troènes. Puis, une rumeur, le sol qui vibre sous les dix tonnes d'un peloton lancé à près de 60 km/h et, d'un coup, comme des sabres tenus par des gens qui dans la bataille ne veulent pas mourir, les premières encolures percent le pan de ciel dans un bruit de fusains explosés et de cris hargneux de jockeys. Si des corps tombent, leur poids, via la terre grasse, se répercute dans vos membres; les os (on peut parfois les entendre) se fracturent comme bois; les sabots coupants sur la chair, les poitrails et croupes retournés comme crêpes sur le dos des malheureux partenaires bipèdes, ramassés vaille que vaille sur eux-mêmes, vous glacent tibias et entrailles.
Endurci. A l'arrière du peloton, un corps reste à terre. Il se tient le ventre, recroquevillé. Sur le sol labouré, son visage est livide, grimaçant. Désarticulé, il a froid. Touché, coulé et orphelin. Il aimerait s'endormir ou retrouver les bras d'une mère. Mais aucune mère ne survit dans les tribunes. Le jockey blessé ne pleure jamais. Il se l'interdit. C'est un homme endurci comme le sont les guerriers, les boxeurs. La douleur ne le surprend pas. Ce qui lui est intolérable, c'est d'être ainsi à terre, de savoir qu'il ne sera pas en selle dans la prochaine course, convalescent pour un mois, ou six peut-être. Il n'a pas un seul regard pour les badauds muets.
A force de contenir ses larmes, obligé qu'un jour elles s'échappent sans prévenir, débordent en un flux incontrôlable, souvent par la faute d'un petit poulain joyeux qui s'est brisé le canon et dont la sentence, malgré le creux de ses naseaux rougis comme braise, de ce cuir palpitant qui fume comme châtaigneraie en automne, est la mort. A l'attitude de son partenaire saboté, le jockey ressent un malaise. Il cherche la blessure et la reconnaît en un coup d'oeil. Alors, il regarde de nouveau le visage de son compagnon, si digne dans l'instant tragique, le seul qui vaille ses larmes.
Insultes. Alors, les cons qui prennent comme seul risque de miser sur le mauvais cheval et qui insultent les hommes en habit de lumière tout crottés au retour du pesage, mépris sur eux. Sous ces volées verbales, le jockey, être silencieux qui jamais ne se plaint, ne dit rien.
Dans les vestiaires, il y a des relents de sueur, de cuir, une odeur de pieds, de boue, d'herbe coupée, de sang et de sexe. On a beau aérer, le soleil ne pénètre pas jusqu'ici et les murs ont ce blanc cassé des couloirs d'hôpitaux. Chacun fait comme si tout allait bien, plaisante, parle de la croupe d'une telle, de la cage thoracique d'une autre si bien dévoilée à ceux juchés au creux d'un garrot. Enfin, on les appelle pour la suivante; ils se lèvent de leurs bancs et d'un pas nonchalant, matadors, ils gagnent la lumière, frappant de la cravache le cuir de leurs bottes. Ils sont à jeun, préparés à toute intervention chirurgicale. Certains y pensent, les tripes aux lèvres; il fait si froid dehors.
Appréhension. Unis dans une identique trouille, le jockey et sa monture vont au galop sur le tapis de verdure, vers l'obstacle d'échauffement, marchepied pour l'enfer, fait de rondins de bois, de tranchées et de fusains serrés. Aucun ne dit son appréhension, juste «j'arrêterai, avant que la peur s'installe». Patrice Brame, 49 ans, a su dire stop. A temps. Il faisait partie des meilleurs, montait chaque dimanche à Auteuil, comptait 250 victoires à son palmarès. «J'étais plus trop vaillant pour aller sauter des chevaux à l'entraînement ou me préparer pour les courses», avoue-t-il. «De plus, j'avais fait une mauvaise chute qui m'avait perforé la plèvre et, pire encore, certains entraîneurs m'avait remplacé sur le dos de chevaux que j'avais dressés. Ça casse le coeur. Bon, une fois en selle, j'oubliais tout et me jetais dans la bataille, mais entre les courses, je me demandais toujours si j'allais rentrer chez moi le soir en voiture ou sur une civière ou pas du tout. J'arrivais à espérer que ma voiture tombe en panne sur le chemin de l'hippodrome.»
Quinze ans après ses débuts en compétition, alors qu'il vient de conclure une course, il dit à son valet de vestiaire: «Garde mes tenues et vend tout, j'arrête.» Depuis, Roger Duchêne, Guy Hunault, Didier Mescam et tant d'autres sont morts. Patrice Brame raconte encore qu'il n'a jamais été aussi soulagé que le jour où il renonça. Devenu artisan peintre, il dit ne rien regretter mais «si c'était à refaire, je resignerais».
Cerné. Un jockey d'obstacles touche 318 F (48,5 euros) par monte perdante (entendez ne pas être classé à l'arrivée). Cette somme forfaitaire descend à 249 F (38 euros) pour celui qui monte en province, alors que le risque est bien souvent multiplié par trois ou cinq, quand ce n'est pas dix. On a pourtant infligé une amende de 500 F (76 euros) à onze jockeys qui refusaient de sauter le gué durant un cross sur l'hippodrome de Mont-de-Marsan. Ils le jugeaient trop dangereux et proposèrent aux commissaires de franchir une haie adjacente pour le remplacer. Vexés de ne pas avoir été prévenus avant que les contestataires ne se rendent au départ, ils ne voulurent rien savoir. Les onze jockeys prirent alors le chemin des écuries, d'où l'amende.
Avec, d'un côté, des propriétaires et des entraîneurs qui l'accusent toujours d'une contre-performance, de l'autre, une partie du public qui le conspue et, au centre, des commissaires obtus, le jockey est cerné. Ajoutez souvent un salaire de misère, le danger à chaque foulée. On ne peut décidément pas demander à cet artiste d'être plus disert."
Homéric. |
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18.04.12 - 20:39 |
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Anonyme |
# 6 ≡ Re: Chapeau bas aux jockeys! |
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realistic, Citation :Merci Moonage! 1 million de fois merci pour ces lignes fantastiques d'Homeric bien mieux ecrites que ma revolte de tout a l'heure qui m'habite depuis si longtemps!
Oh mais ne t'inquiète pas, personne n'écrit comme lui, et dans ta révolte, écrite avec tes mots à toi, il y a l'esprit que l'on trouve dans ce magnifique article. C'est pour cela que j'ai pensé qu'il collait à merveille avec le sujet que tu as ouvert |
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18.04.12 - 21:33 |
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DylanThomas |
# 8 ≡ Re: Chapeau bas aux jockeys! |
Groupe I
6285 posts depuis le 17/3/2008
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realistic, Citation :Et la rappeler dans toutes nos feuilles de choux pour les turfistes, Paris Turf, le JDG, demander aux reporters d'Equidia de donner des nouvelles des jockeys bien moins succinctement que le traditionnel "les jockeys se sont releves", quand c'est le cas.
Meme lorsque les jockeys partent en ambulance pour verification radios ou plus graves, c'est "glisse-rapide"! Je pense que l'on pourrait nous rappeler que tel ou tel est a nouveau a cheval apres arret-blessure de tant de jours pour cotes cassees, ceci ou cela... Histoire de marquer le courage hors norme de ces hommes et femmes qui sont les clefs de voute d'un enorme systeme!
Hélas, dans les écoles de commerce et de communication, il semble qu'on inculque le contraire à ceux qui gèrent l'image des courses: à savoir que les aspects difficiles n'incitent pas à la "consommation" (ici à jouer encore et toujours plus), les course se devant de n'être qu'un spectacle, un divertissement devant lequel le parieur lambda ne doit surtout pas se poser la question de l'envers du décor. Parce qu'un consommateur qui réfléchit, pendant ce temps, il ne suit pas le troupeau... Pour ceux qui tirent les ficelles, il faut que chacun fasse bonne figure, un peu comme dans le monde du cirque: le temps de la représentation, laisser les difficultés de côté, n'offrir que de la magie -- même si ce n'est qu'une illusion. Les drames, petits ou grands, personne ne veut les voir voyons, puisqu'on vous le dit... Alors pour les couvrir, on met la musique plus fort. The Show Must Go On... Et si certaines campagnes de pub grandiloquentes mettent en avant l'héroïsme des participants et le côté surhumain des efforts et des risques pris (je pense notamment aux visuels qui chaque année annoncent le Grand Steeple dans tous les couloirs ou presque du métro parisien), il ne faut pas pour autant demander à ceux qui les cautionnent de faire preuve de cohérence en donnant au public ainsi appâté quelque chose qui reviendrait plus ou moins à un droit de suite.
Alors des jockeys qui morflent mais n'auront droit qu'à un entrefilet dans le "Turf" et à 2 précieuses secondes d'antenne pour que leur sort soit superficiellement évoqué sur Equidia entre deux courses et trois pubs pour je ne sais quel dérivé du Viagra, il y en aura encore. Beaucoup. Et ça ne pourra changer qu'au prix d'une réforme profonde et totale de la gestion de l'image des courses depuis le haut de la pyramide: autant dire que ça n'est pas gagné. Pourtant, à notre époque en pleine mutation et plus que jamais avide d'éthique, le bon sens (un gros mot, selon certains) le plus élémentaire en matière de management ne dicte-t-il pas justement que la valorisation de chaque maillon peut comporter un bénéfice non négligeable en terme d'image pour l'ensemble de la chaîne?... Une image plus humaine ne pourrait qu'accroître l'adhésion du public. Hélas, on dirait que la psychorigidité et le culte des idées reçues ont encore de beaux jours devant eux.
Et puis il faut bien dire ce qui est: l'image, c'est bien, mais transformer de simples turfistes adeptes du prêt-à-parier en véritables passionnés, ça ne représente qu'un intérêt comptable vraisemblablement limité... D'ailleurs, les blessés, ça fait tellement moins rêver que les chapeaux du Prix de Diane ou les beaux costumes du jour de l'Arc, le tout arrosé de champagne! Car il y a ça aussi, entre les aspirations du public et le contentement d'un certain entre-soi, il faut savoir choisir... même si en l'occurrence, le choix est souvent le même. Alors au final, d'une certaine façon, ce qu'Homéric aurait pu ajouter en évoquant le montant de la monte perdante, c'est qu'il achète souvent bien plus que l'effort de s'être mis en selle: dans bien des cas, il équivaut aussi à certains égards au prix du silence...
[ Edité par DylanThomas 18.04.2012 - 22:19 ] |
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18.04.12 - 22:03 |
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