Le Vie Dei Colori est un petit cheval bai aux reflets acajou. Il respire la robustesse, comme celle qu'on trouve dans ces gens issus du Val d'Orcia, façonné par le vent, endurci à l'image de cette terre aride et pierreuse battue par les bourrasques qui couchent les cyprès. Son galop fait penser à ces déluges qui soulagent le sol assoiffé. Il est le tonnerre qui gronde au dessus des Crete Senesi. Il est l'orage avant la tempête qui peut tout emporter sur son passage
Il a d'ailleurs tout emporté sur son passage sur ses terres : meilleur poulain italien sur le mile depuis deux saisons, Le Vie Dei Colori a remporté onze courses en quatorze sorties, parmi lesquelles le Premio Vittorio di Capua (probablement le mile le plus convoité de l'autre côté des Alpes, à l'image du Prix Jacques le Marois en France) et le Premio Parioli (2.000 Guinées italiennes). Il a accumulé près de 540.000,00 euros dont une partie dans son berceau transalpin d'où vient également son père.
Champion miler en Italie, Efisio, le père de Le Vie Dei Colori, transmet beaucoup de vitesse à ses produits, comme en témoignent Hever Golf Rose, Tomba, Frizzante ou Attraction, tous gagnants sur des distances comprises entre 1.000 et 1.600 mètres. Mystic Tempo, la mère de Le Vie Dei Colori, est une fille de El Gran Senor, qui fut champion des 2 ans et des 3 ans en son temps, vainqueur notamment des 2000 Guinées et du Derby d'Irlande après avoir terminé deuxième du Derby d'Epsom.
L'Italie a souvent envoyé sur le théâtre des plus grands hippodromes européens des chevaux hors normes : Ortello en 1929 a ouvert la voie, dominant les meilleurs chevaux d'Europe dans un Arc offrant une arrivée très internationale, Crapom, en 1933, toujours dans l'Arc, a profité du manque d'intérêt des britanniques pour justifier son titre de favori, Nearco en 1938, a poursuivi l'œuvre d'Ortello, effectuant deux raids victorieux en Grande Bretagne (2.000 Guinées) puis en France (Grand Prix de Paris), puis vint Ribot.
Ribot était un artiste, l'Arc fut son chef d'œuvre : balayés les Hildago, Beau Prince II, Kurun, même les plus titrés Talgo et Tanerko n'ont rien pu faire pour empêcher l'ogre italien de remporter l'épreuve reine en 1956, pour la deuxième fois.
Molvedo à son tour, est venu cueillir l'Arc, en digne fils de & Ribot. Six ans après le premier succès de son père, le meilleur cheval d'Europe est Italien.
Tony Bin, le cheval d'airain, qui n'avait trouvé en 1987 qu'un Trempolino au meilleur de sa forme pour empêcher sa consécration, s'est vu couronné en 1988 meilleur cheval d'Europe.
Plus près de nous, Falbrav est probablement le chef d'œuvre le plus abouti depuis Ribot. Meilleur cheval du monde en 2003, champion de 1.600 à 2.000 mètres, il était capable de tenir tête aux meilleurs sur 2.400 mètres (Breeder's Cup Turf).
L'exubérant Lanfranco Dettori est le partenaire de Le Vie Dei Colori. Italien comme le cheval, le jockey semble ne jamais se prendre au sérieux. Et pourtant il est certainement l'un des plus doués de sa génération. Il a forcé l'admiration du Maître, Lester Piggott, mais a aussi gagné la confiance bienveillante du cheikh Mohammed Al Maktoum, lequel ne jure que par son jockey fétiche& c'est dire l'estime qu'il lui porte.
Le Vie Dei Colori est la couleur de l'Italie. La voie de l'arc-en-ciel passe par Longchamp, le Moulin est sur son chemin, il pourrait bien finir en vert-blanc-rouge.
Dimanche 5 septembre 2004
15h40 - les chevaux entrent dans le rond de présentation. Les meilleurs sont là, il manque peut être Attraction, au repos après le prix Jacques le Marois, dans lequel elle a été décevante, Six Perfections, qui mise sur sa fraîcheur pour un doublé dans le Breeder's Cup Mile ou encore Soviet Song, qui a pour objectif les Queen Elizabeth II Stakes à Ascot à la fin du mois, dans lesquels il pourrait d'ailleurs rencontrer deux autres absents de marque : Russian Rythm et Refuse to Bend.
Les adversaires de Le Vie Dei Colori ?
Le brave Paolini, encore sur la brèche à 7 ans, l'ambigü American Post, qui doit rassurer après avoir laissé planer quelques doutes avant l'été, le bon mais malchanceux Diamond Green, qui court après un succès qui établirait une fois pour toute sa grande valeur, le magnifique Whipper, couronné à Deauville, le fantasque Antonius Pius, qui s'il n'était pas si imprévisible, aurait un tout autre palmarès, et les belles Grey Lilas, qui a toute la confiance de son entourage, et Denebola, que l'on attend toujours sur les traces de sa merveilleuse aînée, Six Perfections.
Le Vie Dei Colori marche calmement à côté de son garçon d'écurie. A 4 ans, il connaît la musique, pas question pour lui de s'énerver avant le départ au risque de perdre tout son influx& Le Moulin est son objectif de l'automne.
Les reflets acajou de sa robe captent la lumière à chacun de ses pas avant de parcourir ses flancs comme des vagues mordorées, d'une couleur toute semblable à celle de la pierre ocre irisée par le soleil tournant. Son œil ambré parcourt le public massé derrière les barrières du rond de présentation, inquisitif et curieux.
" Les jockeys montent à cheval ".
Les garçons d'écurie conduisent les chevaux vers la piste puis les lâchent.
Le Vie Dei Colori s'élance. Bientôt arrivé derrière les boîtes de départ, il tourne un peu en compagnie des autres chevaux puis entre dans sa stalle.
Pendant quelques secondes après que le dernier cheval soit entré, le temps se fige, laissant planer une légère brise aux parfums de toscane.
Puis les portes s'ouvrent dans un fracas.
1600 mètres avant de savoir si Le Vie Dei Colori éclaboussera de couleurs l'immuable tapis vert de Longchamp. 1600 mètres pour savoir si son nom, au-delà de l'invitation au voyage dans ces coteaux baignés d'or par le couchant qu'il suggère, prendra une dimension approchant celle que Ribot et Falbrav ont connue.
Le vent s'est levé là bas, sur les terres toscanes. Les cyprès commencent à fléchir sous les rafales. Les chevaux sont dans la descente. Mais Le Vie Dei Colori se bat contre la main de son jockey, il tire, se défend, il est peut être en train de courir sa course, pas contre les autres chevaux mais contre son jockey.
La fausse ligne droite, Le Vie Dei Colori suit toujours mais il semble avoir perdu une partie de ses forces, il ne tire plus mais il est à l'ouvrage, il ne gagnera pas.
Le vent fait voler la poussière sur les chemins blancs entre les champs de blé. Le ciel s'obscurcit, prémices de l'orage qui vient délivrer ce désert d'argile pierreux et raviné de la chaleur étouffante de cet après midi.
L'entrée de la ligne droite, Le Vie Dei Colori baisse les armes, Lucky Story qui avait mené un train rapide paye ses efforts et se laisse absorber par le peloton lancé vers le poteau ; Grey Lilas a pris la tête, puis une longueur ; les autres essaient bien de l'attaquer mais se heurtent à sa résistance. La belle jument grise tient son premier groupe I.
L'écho du tonnerre roule entre les collines desséchées, la lourde pluie s'abat sur les coteaux, ruisselle le long des troncs, coule dans les fossés...
Quelques mètres encore et Le Vie Dei Colori s'engage sous le poteau d'arrivée, comme le dernier souffle de l'orage qui là bas, s'éloigne. Mais devant, Grey Lilas s'est imposée en championne, seule contre les meilleurs.
Alors que le petit cheval aux doux reflets d'acajou retourne aux balances, enveloppé par la lumière, le soleil revient sur les environs sauvages de Pienza, baignant les petites chapelles romanes d'une douce couleur ocre.
Le Vie Dei Colori... il ne sera peut être ni Ribot ni Falbrav, mais quel beau voyage.